Apothéose du fait divers. C’est tout mais ça fait peur !
Création automne 2017
Pourquoi ce projet ?
Comme beaucoup de francophones, j’ai écouté Pierre Bellemare avec délices… J’ai aperçu les publications, des compilations par thème, dans les supermarchés plus que dans les librairies.
Une mine de scénarios, comme le Dictionnaire des œuvres… J’avais mis l’idée de côté, accaparée par Clément Rosset, Daniil Harms, Roberto Arlt, La Fontaine, George Sand, Anatole France, Grimm, et bien sûr, les “jeunes auteurs contemporains”… Mais le souvenir des histoires “bien ficelées” et radicales de Pierre Bellemare s’impose…
Je vais chercher un vieux fauteuil roulant à la brocante du Secours Populaire, pour un mendiant de L’Opéra de Quat’Sous de Brecht. Le rayon livre possède plusieurs recueils de Pierre Bellemare… on me les donne en prime du fauteuil…
Dès le soir, je trouve au moins quatre histoires avec des chutes-surprises merveilleuses !
Je déclare bien haut, pour tester : – « Je vais monter les histoires de Pierre Bellemare ».
Il y a ceux qui haussent les épaules ou se frappent le front :
– « Que va penser Untel et Untel ! Tu ne vas pas mettre ça dans un dossier… Etc.
Il y a ceux qui s’enthousiasment : – « Vas-y, c’est un beau pied de nez aux ayatollahs du théâtre !”
L’idée du pied de nez l’emporte…>
J’écris à Pierre Bellemare, chez Albin Michel.
Trois jours après, réponse de Pierre Bellemare. (Il répond, lui !) Donne son numéro de portable. Échange téléphonique, aimable, élégant, chaleureux.
Il me conseille des titres et me raconte à moi toute seule deux histoires… Il me donnera les droits si mes adaptations lui conviennent… Je me suis mise au travail. Certaines histoires sont déjà dialoguées, d’autres, en résumé, ou très narratives, doivent être dialoguées complètement.
Pierre Bellemare a été très vigilant sur le style et la dramaturgie, donnant de bons conseils. Très amusé par les adaptations, il a donné son accord et prêté sa voix pour quelques interventions.
Navigation dans l’œuvre de Pierre Bellemare (et collaborateurs)
En acquérant les premiers recueils de Pierre Bellemare (et collaborateurs), je ne me doutais pas que j’allais entr’ouvrir une collection de plus de soixante titres.
Nous avons lu environ 900 récits, pour en sélectionner une dizaine, ce qui dépasse la statistique que nous avions établie il y a quelques années avec Jean Sclavis, lorsque nous cherchions des sujets pour les Castelets de Jardin : lire une centaine de textes pour en trouver un adaptable pour la marionnette en spectacle de plateau.
Dans des recueils à la thématique alléchante comme Crimes de femmes, La Mort au bout du voyage, L’enfant criminel, Crimes dans la soie, aucun sujet ne nous paraît possible. En effet, malgré la qualité du récit, le suspens, l’extravagance des situations, qui nous amènent à lire les histoires jusqu’au bout, certains faits divers ne nous offrent pas de prise immédiate pour le spectacle de marionnette. Il y en a pourtant de “spectaculaires”, mais l’horreur ou l’impensable ne fournissent pas forcément un scénario pour la marionnette manipulée en direct, pour des raisons techniques (changements de lieux impossibles) ou dramaturgiques (détails de situations sociales, juridiques ou administratives indispensables, mais qui alourdiraient le jeu).
Après 40 ans de métier, nous nous méfions des “faux bons sujets” qui réclameraient une mise en œuvre cinématographique, ou un traitement théâtral avec acteurs en chair et en os, comme Jean Genet a su le faire avec Les Bonnes ou Bernard-Marie Koltès avec Roberto Zucco.
Nous avons trouvé dans notre lecture attentive, tout ce qui convient au théâtre de marionnettes : de l’action, des personnages naïfs, méchants ou ridicules, de l’absurde, de la poésie parfois, et un sérieux coup de main pour exorciser le tragique de la vie.
Intérêt dramaturgique de ces histoires
La diversité
Caractéristique du plaisir des récits de Pierre Bellemare, mais aussi de tous recueils de contes, de blagues, de nouvelles (histoires recueillies par Jean-Claude Carrière par exemple) : on passe d’une situation à une autre, on change de pays, de lieux, de personnages, etc. Chaque histoire nous surprend d’abord par sa différence avec la précédente, par sa nouveauté… et la première parce qu’on ne s’y attend pas, on pénètre juste dans le livre ou le spectacle. On entre dans un univers mystérieux et pourtant radical.
Nous réfuterons la discipline académique qui nous inciterait à dégager des thématiques sur un trop petit nombre de récits. Ce qui est amusant, c’est justement le coq à l’âne !
Des constantes cependant
On retrouve les constantes des histoires de Pierre Bellemare :
L’empathie pour les gens, qu’ils soient bons ou malhonnêtes. On partage leur façon d’être “empêtrés” dans des situations qui les dépassent, et les mènent parfois au crime.
La mauvaise action elle-même est décrite comme un gâchis navrant, ce qui sous-tend une leçon de bon sens : évitez de vous mettre dans des situations pareilles ! (ce qui est différend de la morale moralisante).
Beaucoup de faits divers naissent d’un quotidien fastidieux, ou difficile, base de départ décrite avec soin pour faire ressortir l’intrusion de “l’exceptionnel” positif ou négatif.
La crédulité et sa manipulation occupent une très grande place dans notre sélection, et lui donnent un sens discrètement matérialiste, comme paraît le suggérer également Pierre Bellemare dans ses conclusions pleines d’humour.
Des personnages récurrents
Le pauvre type, loser, ou du moins l’homme modeste.
Le commissaire de police ou le gendarme, utile pour constater les drames.
Ces histoires ont un recul dans le temps : elles sont souvent datées, entre 1960 et 2011… mais celles que nous avons choisies ne sont pas assujetties à une date précise. On pourrait les jouer à d’autres époques !
Des chutes surprises
Toutes bénéficient d’une “chute surprise” qui les clôt sans atermoiement, et c’est la qualité que je recherchais pour proposer un spectacle efficace, c’est-à-dire divertissant dans l’instant, et “nourrissant” la pensée par la suite.
Nous souhaitons faire un spectacle chaleureux, renforçant et valorisant la mémoire collective qui se construit autour de Pierre Bellemare, “gentleman conteur”, souvent méconnu des milieux culturels.
Emilie Valantin – Juillet 2016
Remerciements à Pierre Bellemare dont la voix ponctue et relie les épisodes du spectacle.
Ce spectacle est soutenu par l’ADAMI et la SPEDIDAM.