1992
Le mariage entre théâtre de marionnettes et philosophie ne nous surprend plus quand la référence traditionnellement invoquée est la communauté d’illusions : mythe de la Caverne, mythe du Double romantique, etc… Or, l’urgence de dégager le théâtre de marionnettes de la fausse poésie, ou de la psychologie hâtive sur le double, rapprocherait plutôt le marionnettiste contemporain d’une réflexion sur le réel, sur le “complément d’objet, tangible ». En marionnette, l’artifice est nature, l’illusion matière ; l’Imaginaire a les pieds sur terre.
J’ouvre les livres de Clément ROSSET et j’y retrouve ma propre tournure d’esprit, ma déformation professionnelle en quelque sorte : débusquer le dérisoire, cerner les « lapalissades du réel ».
né en 1939. Il est maître assistant à l’Université de Nice de 1967 à 1998.
Il a publié aux P.U.F., La Philosophie tragique, Schopenhauer, Philosophe de l’absurde, L’esthétique de Schopenhauer, L’anti-nature ; chez Gallimard, Le réel et son double; aux Editions de Minuit, Le réel . Traité de l’idiotie (1978), L’objet singulier (1979-85), La force majeure (1983), Le philosophe et les sortilèges (1985), Le principe de cruauté ( 1988 ), Principe de sagesse et de folie (1992)
La nécessité de jouer en marionnettes des éléments de la pensée de Clément Rosset reste aussi impérieuse qu’il y a dix ans. Après avoir évoqué la possibilité d’une reprise avec le philosophe lui-même, nous sommes convenus de garder l’organisation du montage tel quel, ainsi que le choix des citations, établis dès 92 à partir de livres déjà très marquants.
L’œuvre de Clément Rosset s’est développée ultérieurement, mais le public la découvrira ou retrouvera avec plaisir les évidences et les constats ironiques sur le réel et la diversité infinie des quêtes d’illusion.
Les personnages artificiels, philosophes ou simples quidams, agissent piteusement dans un décor inspiré par les textes eux-mêmes, si précis sur les implications du lisse et du rugueux, du miroir et de l’opacité… A l’occasion de cette reprise, et avec l’expérience d’autres productions jouées entre-temps, il nous paraît pertinent d’interpréter et de manipuler à deux comédiens/manipulateurs, pour améliorer la diversité vocale et le rythme des enchaînements, et d’apporter le confort et le plaisir visuel d’une vidéo discrète mais nécessaire pour savourer physionomies et attitudes des personnages dans la fragilité de leur petitesse.
Les gros plans sur les personnages (vidéo), leurs reflets dans les miroirs du plateau de verre fumé, ainsi que quelques actions en décor naturel enrichirons le spectacle en mettant tous les spectateurs, quelques soient leurs places, dans la confidence du propos.
Ce spectacle présente quelques aspects de la pensée de Clément ROSSET, philosophe français contemporain – né en 1939 – matérialiste, sceptique, mais qui a lui-même parlé de son » pessimisme jubilatoire « .
(Situons le dans une ligne de pensée qui commence avec PARMENIDE – V éme siècle av JC – « II faut dire et penser que ce qui est est, car ce qui existe existe, et ce qui n’existe pas n’existe pas : je t’invite à méditer cela.
Tu ne forceras jamais ce qui n’existe pas à exister. » puis de LUCRECE, MONTAIGNE, NIETZCHE).
Dans la première partie du spectacle, j’ai recueilli les observations malicieuses de Clément ROSSET sur la façon dont tout un chacun refuse le réel (c’est-à-dire la connaissance de l’inévitable, en fin de compte, la mort ).
L’homme se débrouille pour fuir la réalité trop simple, trop insupportable, représentée par les objets, les lits, les matières rugueuses, opaques, monotones (le sable, les parois, etc ).
L’homme débranche sa logique pour ne pas voir ( sinon, il se suicide, ou devient fou, autres alternatives plus radicales ). Il se construit une autre image du monde en développant la pratique de l’illusion comme l’a enseigné PLATON. Il double la réalité grâce aux images en miroir, plus séduisantes.
Dans la deuxième partie, nous évoquons – trop rapidement peut-être – des systèmes de pensée qui organisent le refus du réel et la quête d’un sens.
Les aphorismes de GUIGNOL dans la tradition de la sagesse populaire, croisent les évidences simples que Clément ROSSET tente de nous faire redécouvrir, en insistant sur les « lapalissades du réel ».
Le sens général du spectacle restera au scepticisme, au nécessaire examen critique personnel.