Note sur l’enseignement de la marionnette
La création en marionnette implique :
– la lecture (chercher dans la littérature le texte à adapter),
– l’écriture (texte, musique, mais aussi didascalies seules),
– la scénographie,
– l’interprétation vocale (diction, phrasé, émission vocale),
– la manipulation,
– la sculpture,
– la mécanique (petite robotique et ergonomie),
– les techniques de moulage et la chimie des matériaux nouveaux,
– la peinture et le matiérisme,
– la couture et l’utilisation des textiles et du cuir,
– la menuiserie et autres pratiques artisanales etc.
On s’étonne que la pratique de ce moyen d’expression n’est pas été intégrée plus tôt dans la formation en France. Il est vrai que l’expérimentation en à souvent été réductrice car limitée dans le temps et dans les moyens. En fait, elle a suivi et non précédé l’image de la marionnette auprès des publics.
Ces notes ont été rédigées pour contribuer à inverser la pratique et la perception de la marionnette. Elle ne sera plus essentiellement outil d’expression spontanée à portée de jeunes mains vite lassées de l’approximation, mais au contraire un outil de connaissance et de réflexion au plus haut niveau. Avant d’être instrument exutoire et libérateur, elle doit faire l’objet d’une pratique maîtrisée et adulte…
Oublier le dionysiaque à bon compte pour mériter le sourire d’Apollon
SOMMAIRE
I. La marionnette dans les formations professionnelles aux métiers du spectacle.
1° – A minima, être un entraînement de comédien.
2° – Une option pour comédiens susceptibles d’utiliser la marionnette.
3° – La formation de « Marionnettistes interprètes ».
4° – Option « théâtre de marionnettes » en scénographie.
5° – Option « théâtre de marionnettes » en mise en scène.
6° – La marionnette dans les formations théâtrales universitaire, IUFM.
AVEC QUELLES MARIONNETTES ?
II. Apprentissage et réactualisation des techniques de fabrication. Progrès artistiques.
1°- Dans les Ecoles d’Art, Arts appliqués et certaines formations techniques.
2° – A Charleville Mezières.
III. Dispositifs d’insertion professionnelle.
IV. Annexes
Observations de Sarah Fourage. Comédienne ex élève de l’ENSATT
I. La marionnette dans les formations professionnelles aux métiers du spectacle.
L’apprentissage de la manipulation peut se donner trois objectifs :
1° – Être un entraînement du comédien,
complémentaire et parallèle à d’autres formations. La marionnette permet de développer les facultés de dissociation, la maîtrise des réflexes, la concentration accompagnée de « décentrage », le sens de l’objet et de la contrainte matérielle (régie de plateau ou d’accessoires à intégrer dans le parcours du spectacle). Les comédiens font l’expérience des différents niveaux de mémoire exigés pendant une représentation, ainsi que d’un degré de précision temps/espace qui leur sera utile en scène et au cinéma. La pratique de la grammaire de manipulation dans les trois techniques (gaine, table, sol) passe au crible tous les problèmes d’interprétation du théâtre : émission vocale, phonétique et attitude corporelle, diction, phrasé, etc. L’alexandrin y retrouve sa place non seulement de soin palliatif à la diction des jeunes comédiens, mais par la rencontre avec une gestuelle forcément codée. Elle est surtout un exercice de style fondamental pour chercher la justesse au service d’une image qui n’est pas soi. Eviter le surjeu, travailler et doser l’incontournable composition pour différencier des personnages ou s’adapter à l’esthétique d’un personnage sont des « assouplissements » profitables au comédien. Le jeune comédien y mesure l’efficacité de sa présence vocale et de son énergie. Il apprend à endosser et quitter un personnage c’est à dire à donner à voir avec conviction, sans implication narcissique.
L’enseignement de la grammaire de manipulation dans ces perspectives peut faire partie d’un programme propédeutique s’adressant à tous les élèves d’une promotion
Il peut être un rendez-vous hebdomadaire, ou s’organiser en sessions.
Il est important d’utiliser, dans les exercices d’interprétation, les travaux déjà appris pour d’autres intervenants afin de libérer les élèves d’un travail de mémoire, mais aussi regagner le niveau d’interprétation donné en théâtre d’acteur. Il faut travailler sur l’incontournable déperdition due à l’apprentissage technique et aux connotations culturelles du théâtre de marionnette.
2° – Une option pour comédiens susceptibles d’utiliser la marionnette.
Cette « spécialisation » permettrait de disposer de comédiens capables d’utiliser la marionnette avec compétence, mais aussi pertinence !
Elle s’adresse à des comédiens choisissant cette option, et non à toute une promotion.
Le programme d’entraînement technique est plus poussé. Il s’accompagnera d’une réflexion artistique constante sur la relation « forme – contenu » dans la pratique du théâtre de marionnette et d’objet. Mises en marionnettes expérimentales, analyse des choix techniques et esthétiques au service des textes. Exercices d’écriture et d’adaptations en corrélation avec des explorations scénographiques, propositions esthétiques en partenariat avec une section de création plastique (interne ou externe à l’Ecole ou au Conservatoire, Beaux Arts ? Ecole de Design ?).
Cette option devrait améliorer à terme la pertinence et la qualité d’utilisation de la marionnette, non seulement dans les spectacles pour enfants et spectacles de rue, mais aussi proposer aux metteurs en scène des praticiens de la marionnettes qui leur évitent les recours approximatifs à ce moyen d’expression (Opéra et théâtre musical entre autres).
Cette option pourrait être préparatoire ou faire partie d’une formation à la mise en scène.
Cette formation peut se dérouler en plusieurs sessions, sous la conduite de metteurs en scène marionnettistes et en collaboration avec d’autres intervenants (auteurs et plasticiens ?)
3° – La formation de « Marionnettistes interprètes »
C’est une nouvelle spécialisation, plus poussée que la précédente sur la manipulation et la virtuosité technique, pour former de véritable marionnettistes extrêmement qualifiés en interprétation. (Chant et texte ? langues vivantes ?). C’est une spécialisation de dernière année de cursus, reconnue par un diplôme d’Etat. Sauf échanges internationaux ou stages en entreprise, elle ne fait pas l’objet d’une année entière, mais d’une spécialisation concomitante au diplôme de fin d’études de comédien. Après enquête auprès d’anciens stagiaires, aucun élève/comédien n’engagera une année supplémentaire pour cette spécialisation « expérimentale », trois ans étant déjà jugés trop longs.
Cette formation pourrait s’ouvrir dans toutes les écoles nationales, associée aux dispositifs de formation de comédiens déjà en place, et pour ne pas isoler les futurs marionnettistes des autres professions du spectacle. (Elle sera donc dissociée de la formation à la création plastique et à la construction des marionnettes, qui peut être une autre option, suivie avant ou après à Charleville-Mézières par exemple, ou par sessions alternées dans une école d’art).
Il convient en effet de distinguer le profil de l’interprète de celui du plasticien, tout en ménageant les passerelles indispensables, bien sûr. La profession manque de bons interprètes et de bons constructeurs, étant elle même accablée de pluridisciplinarité autodidacte. Tout en faisant partie de cette génération « artisanale », j’en mesure les avantages culturels, mais aussi les inconvénients pratiques. Je proposerai donc d’y remédier par la création d’un corps de manipulateurs-interprètes susceptibles de bénéficier du même renom et dispositifs de promotion professionnelle que les comédiens sortis du Conservatoire de Paris et TNS, et bientôt ENSATT.
4° – Option marionnette en scénographie et option lumière
Les formations actuelles de scénographes se privent des connaissances et des expérimentations que le théâtre de marionnette peut offrir .
En Histoire du Théâtre, l’art de la marionnette suit et décale les expériences scénographiques, pour des raisons économiques et sociales, mais aussi parce qu’il adopte sans à priori d’autres divertissements (lanterne magique, cirque, ombre, théâtre d’écriteaux, attractions foraines à effets spéciaux, mais aussi spectacles littéraires de société, petit théâtre musical, etc.). Cette thématique correspond aux préoccupations pluridisciplinaires de la scénographie contemporaine.
Le scénographe, en marionnette, doit gérer la présence du manipulateur présent, caché ou discret, dessus, dessous, derrière, ou aux cotés de son personnage…
Même problème pour la formation lumière, qui présenterait quelques particularités techniques à découvrir en situation d’expérimentation et d’apprentissage (et non au cours d’une création !)
Les recherches sur l’espace pour marionnettes n’ont encore jamais fait l’objet d’une synthèse sur les acquis contemporains. Les nouveaux décodages de l’espace que la marionnette propose à la sensibilité d’aujourd’hui – démultiplication et mise en abîme, trouble de la perception des proportions, éclatement surréaliste du réel, rapport au corps humain entre autres (et ce, dès le spectacle pour jeune public) peut enrichir l’enseignement de la scénographie.
Remarque personnelle : c’est par l’inventivité de la création scénographique que le théâtre de marionnettes s’inscrit comme moyen d’expression contemporain, quelque soit le degré et le choix de figuration des personnages. L’effort des marionnettistes pour présenter des personnages « contemporains » les conduits souvent à les rendre incrédibles, ou ostensiblement « vilains », ébauchés pour faire « art brut »…
5° – Option « Théâtre de marionnettes » en mise en scène
La notion de mise en scène en marionnette a souvent été évacuée parce que le spectacle de marionnette contemporain s’est réactualisé grâce à des spectacles solistes ou à petite distribution. Ces spectacles, créés dans des conditions économiques bien inférieures à celles du théâtre d’acteurs, réussissent à exister sur la personnalité et l’originalité, voire le pathos du marionnettiste créateur.
Il semble que l’intérêt pour le moyen d’expression que ces artistes ont su éveiller va permettre de proposer au public des « pièces de marionnettes », ou des moments de théâtre à distribution plus importante, c’est à dire à plus nombreux manipulateurs pour spectacles « lourds ».
Il nous reste à travailler sur la mise en œuvre de ce type de spectacles, pour en professionnaliser la production à tous points de vue :
Par ailleurs la mise en scène appliquée au théâtre de marionnette devrait être un exercice préalable à toute étude de la mise en scène. En effet, la première problématique qui se pose est la pertinence même d’utiliser la marionnette pour servir un propos !… Or nous savons que le jeune théâtre ne s’interroge pas assez sur la relation entre le moyen d’expression utilisé (parmi tous les médias contemporain à disposition ) et le texte choisi.
La réflexion sur la « mise en image de la pensée » se pose d’emblée :
Degré d’animation du personnage « artificiel ». Degré de figuration. Conception esthétique.
Analyse critique des textes en fonction de contraintes matérielles très fortes ( = Opéra)
(Prise en compte des conditions de diffusion hétérogènes et encore aléatoires socio-culturellement)
Gestion judicieuse de la présence du manipulateur. Rapport comédien – marionnette, soit en dédoublement, soit en relais, dosage de la présence, etc. Spécificité de la distribution.
Choix des personnages. Technique et ergonomie des manipulations dans les éléments de décor.
Interdépendance de ces choix avec la scènographie et la future direction d’acteur .
Méthodologie de répétitions en collaboration avec l’atelier de fabrication.
Entraînement physique, mise au point des parcours techniques des comédiens manipulateurs (mémorisations des gantages, relais et passations de personnages) et régie de plateau.
Familiarisation des futurs metteurs en scène avec les études de faisabilité, les chiffrages de pré-production, la prise en compte des coûts d’atelier, etc.
Les exigences de la « mise en marionnette » restent encore à répertorier, y compris pour la plupart des marionnettistes.
La constitution d’un programme spécifique s’appliquerait :
- à la progression du théâtre de marionnettes dans les années à venir.
- à contribuer à la formation à la mise en scène, enseignement pluridiciplinaire s’il en est, la marionnette étant un exercice de pragmatisme, quelle que soit l’abstraction du propos.
6°- La marionnette dans les formations théâtrales universitaires, IUFM, Ecole d’Art et formations techniques.
La marionnette prend place directement comme outil de pratique artistique, dans les programmes mis en place sur les points suivants :
- Pratique théâtrale : pour les raisons développées dans la description n°1.
- Etudes littéraires : Ecritures théâtrales appliquées à la marionnette. Analyse des écritures « brèves » et techniques d’écritures pour le scénario, etc.
- Initiation pratique à la scénographie : la réduction des projets scénographiques destinés au théâtre de marionnettes offre une alternative pragmatique aux projets pour comédiens souvent limités pour raisons de moyen, et au travail sur maquette qui ne permet pas la répétition réelle. La marionnette permet de développer des explorations de l’espace grâce à la double lecture des proportions (taille humaine et taille de la « poupée »). Le théâtre de marionnettes est une bonne expérimentation de la « création sous contraintes » à laquelle est soumis l’étudiant scénographe.
Esthétique. Histoire de l’art et de la représentation humaine et animale. Atelier de créations plastiques.
AVEC QUELLES MARIONNETTES ?
Depuis des années, l’entrée de la marionnette dans les programmes de formation se heurte à un problème simple : la prise en compte de la création et renouvellement d’un matériel pédagogique de qualité (éléments de scénographie, marionnettes d’étude de la « grammaire » de manipulation d’esthétique neutre ou modulables, propositions de matériaux pour ateliers, etc.)
La création de marionnettes est une mise en œuvre assez complexe, pluridisciplinaire, qui demande des ateliers et du temps et beaucoup de compétences. La plupart du temps, l’exercice de manipulation reste l’exercice le plus intéressant pour une pratique occasionnelle, voire expérimentale.
Résolu (ou non) au coup par coup, ce problème évident menace souvent les relations entre l’Institution et les artistes dès qu’il s’agit de FAIRE – c’est-à-dire d’arriver avec du matériel et non plus de discourir. L’intervenant marionnettiste est rémunéré à l’heure. L’achat de matériaux, la création du matériel et son amortissement sont niés dans les protocoles de collaboration avec l’Education Nationale, défavorisant le marionnettiste par rapport à l’intervenant Danse, Théâtre ou Musique.
On n’imaginerait pas enseigner de la musique sans disposer d’instruments fabriqués par des professionnels (hors pédagogies d’éveil ponctuelles où l’on fabrique l’instrument). Or l’enseignement de la marionnette s’en tient à utiliser soit des bricolages réalisés par les élèves eux-mêmes (et nous n’ignorons pas, bien-sûr, l’aspect positif de cette pédagogie), soit à utiliser le matériel apporté par l’intervenant, presque toujours sur son budget de fonctionnement.
On peut dire que l’accès à la marionnette s’est fait jusqu’à présent avec du matériel de trois types :
- Matériel « bricolé » avec et par les apprenants, selon le temps, les moyens et l’âge des talents sollicités. Necessité magnifiée en « travail d’expression personnel » tout à fait respectable dans certaines conditions.
- Matériel rassemblé par le marionnettiste en puisant dans les personnages de ses spectacles hors répertoire. Les esthétiques ont été définies par d’autres sujets. Au mieux, la multiplicité des propositions peut pallier à la pré-détermination des personnages.
- Matériel réalisé par l’intervenant, à ses frais, dans l’effort de proposer des esthétiques les plus « neutres » possibles (dans la mesure où l’on peut gommer son style), en diversité et quantité suffisantes, et entretenu entre chaque session, (travail rarement évalué).
Il ne faut pas s’étonner que depuis quelques années le recours à un pseudo « art brut », (personnages ébauchés, « vilains », « mal ficelés », et surtout pauvrets) devienne l’alternative artistique que les spectacles de marionnettes opposent aux images dominantes. Accompagnant la disparité économique dont souffrent les marionnettistes dans le système culturel, cette aptitude à faire de nécessité vertu génère dans notre profession un vieil académisme « post-surréaliste », en décalage complet avec les objets et d’autres moyens d’expressions contemporains. Dans la même approximation et par peur de la « ringardise », la connaissance évidente et basique des trois grandes familles de marionnettes est évacuée. Nous savons que l’acquisition de ces bases faciliteraient leur libre utilisation, y compris leur transgression, en mise en scène et en scénographie ….
Il faut gagner du savoir-faire technique, donc de la liberté expressive, pour s’adresser au public d’aujourd’hui autrement qu’en artiste besogneux et achaïsants, et se réconcilier, la tête haute, avec la figuration.
La formation à la marionnette devrait donc prendre en compte les problèmes de création matérielle, avec de nouvelles perspectives de partenariat entre les établissements d’Enseignement Supérieur.
II. Apprentissage et réactualisation des techniques de construction. Progrès artistiques.
1°- Dans les écoles d’Art, Arts Appliqués et certaines formations techniques.
La réalisation matérielle des personnages humains et animaux à un champ d’application de la marionnette est si vaste qu’il mérite une étude détaillée, les choix esthétiques induisant de multiples mises en œuvres techniques.
Citons par exemple : études anatomiques : la figuration humaine (mains, visages, corps, proportions, stylisations) et ses transgressions.
La stylisation animalière. (Racines culturelles et Imageries dominantes).
Matériaux nouveaux et matériaux traditionnels.
Patines et matériaux de surface. Ex. : le lisse et le rugueux.
Sculpture : modelage et taille directe. Choix esthétiques et techniques de reproduction.
Les techniques d’animation : matériaux rigides et la construction des articulations ; les matériaux souples (Cf. orthopédie)
Ergonomie de la manipulation.
Art du costume et stylisme.
Recherches sur une revalorisation des esthétiques du jouet (thématique de design ?)
La création de personnages humains pour la muséographie, la mode etc.
2° – A Charleville-Mezières
Cette institution est chargée de la formation professionnelle en France. Je crois qu’elle forme des marionnettistes pluridisciplinaires, certains plus interprètes, d’autres plus concepteurs, quelques uns constructeurs, mais lesquels ?
De mon point de vue de metteur en scène, gestionnaire d’une compagnie de 12 personnes environ, je donnerai un point de vue d’employeur sur les problèmes de recrutement :
a) – Je ne sais où trouver, en décentralisation, de technicien marionnettiste, d’un bon niveau (BTS ?) susceptible de m’assister et de fournir moulages, mains, constructions d’articulations, petites mécaniques, adaptation ou créations d’accessoires, conceptions de dispositifs de régie de marionnettes dans la scénographie et régie de plateau spécifique. Je viens d’embaucher un ouvrier orthopédiste, dont la formation en pratique de matériaux nouveaux me paraît pertinente, ainsi que les connaissances en morphologie et en moulage.
b) – J’ai renoncé à m’adresser à des jeunes issus des Beaux Arts. Leur formation en modelage/sculpture est insuffisante, voire inexistante, et leur formation en Histoire de l’art ne nous donne pas les mêmes outils de communication ! Chaque expérience aux frais de la compagnie, grève indûment les coûts de création des spectacles. Les jeunes designers vont vers l’industrie ou le secteur plus lucratif de l’exposition ou du congrès.
c) – les élèves sortis de Charleville-Mézières sont difficiles à connaître (depuis Rhône-Alpes), et ne souhaitent pas commencer par des travaux d’atelier, au service des esthétiques d’autrui. Or les leurs sont balbutiantes… Pour l’interprétation, je préfère m’adresser aux promotions des écoles de comédiens où j’ai eu l’occasion d’enseigner… Un bon comédien, « équipé » d’une bonne psychomotricité (ce qui peut être testé en stage, grâce aux travaux d’acteurs) devient un manipulateur interprète assez rapidement. (Cf. I n°3)
Ne pourrait- on pas envisager à Charleville une formation technique et esthétique en deux niveaux :
- de techniciens marionnettistes (BTS ?)
- de plasticiens (Bac +3 ou 4) avec une formation artistique sur la représentation dans l’histoire de l’art, histoire du théâtre de marionnettes, spectacles de rues et décorations diverses.
Ces deux niveaux de formation mettraient l’accent sur les travaux pratiques en atelier.
Les ateliers recevraient des « commandes » de créations de marionnettes, pour résoudre enfin ce problème de réalisation auquel certaines écoles ne pourront pas faire face.
Charleville pourrait alors être l’atelier de référence, en relation avec les formations d’interprètes manipulateurs. Ses locaux accueilleraient des sessions pluridisciplinaires en partenariat avec les formations à la manipulation, interprétation, écriture et mise en scène.
Les techniciens et les plasticiens en formation à Charleville devraient bénéficier également d’une formation de base en manipulation et interprétation, spécialisée en audiovisuel, ce qui n’existe pas en France.
Enfin, une option « scénographie » décrite plus haut (Cf. I. n°4) trouverait place à Charleville, comme à l’ENSATT et au TNS ?
III. Dispositifs d’insertion professionnelle
Les jeunes diplômés des formations théâtrales sont trop souvent au chômage ou investis dans des projets d’attente démultipliant des cellules de création provisoires et semi-professionnelles, faute de transition entre l’école et les premiers contrats professionnels.
Pour cela, je propose deux expérimentations pragmatiques :
1°- Ouvrir les monuments historiques et certains sites touristiques à des créations ponctuelles de « théâtres-écoles » pour les options marionnettes.
Le théâtre de marionnettes n’implique pas de dispositifs lourds (gradins, plateaux) qui défigurent les monuments ou les jardins, l’été. C’est l’outil des pratiques culturelles intimistes requises dans beaucoup de sites historiques. Ces spectacles d’été ne devraient pas alourdir le « marché » culturel de la saison et s’arrêter en septembre, après avoir été un « pied à l’étrier » à des équipes de jeunes comédiens, toujours encadrés et accompagnés par des professionnels. Ils y feraient l’expérience du « tout public », différent de celui des travaux d’acteurs de leur formation. Ils gagneraient leurs premiers (modestes) cachets. Ils pourraient être « vus » sur une durée de représentations.
Le Parc de la Villette pourrait être la vitrine parisienne de ces expérimentations, comme suggéré dès 1997, à l’occasion de la programmation rendez-vous des Castelets en Jardins du Fust.
Ayant déjà tenté cette expérience, en 1998 à Grignan, avec des élèves de la Comédie de Saint-Etienne, et en 1999 au festival d’Avignon, avec des élèves de l’ENSATT, mais échoué faute de soutiens structurels, pour renouveler ces efforts en d’autres circonstances, nous souhaiterions poursuivre cette expérimentation, avec le Centre de Monuments Historiques notamment.
2°- Politique volontariste en création vidéo
Proposer aux stations France 3 régionales, (ou entrée en production nationale ?) et certaines chaînes câblées, aux circuits pédagogiques (médiathèques C.D.D.P. ?) d’introduire dans leurs grilles de programme des petites séries de séquences courtes, en partenariat avec les dispositifs d’insertion des écoles et conservatoires ouvrant une option marionnettes. La création de ces séquences serait l’occasion d’un atelier d’écriture et impliquerait un atelier de création plastique, un atelier de manipulation / interprétation, un équipement vidéo pour répéter. Cette mise en œuvre, commencée pendant la dernière année de formation, la prolongerait de façon rémunérée par la chaîne, ou l’édition (tournage en studio, ou en décors naturels extérieurs), avec un suivi de l’école, en ce qui concerne l’utilisation des personnages et du dispositif scénique par exemple. L’accès à la création télévisuelle en France (sur d’autres formes que les Guignols de L’Info ou le Muppet Show, dans le créneau « marionnettes en temps réel, en studio comme en décors naturels, assez économique) pourrait peut-être se réamorcer par ce type de production, le temps pour les directeurs de chaînes de rouvrir le dossier « création régionale » avec une… réelle attention .
Le Théâtre du Fust ouvre à partir de Mars 2001, des ateliers et salles de répétitions, pour créer en Rhône Alpes, avec le soutien de la ville de Montélimar, du Département et de la Région, un centre de « recherches et de création » pour employer des termes plus convenus que les projets envisagés. Nous nous proposons d’y mettre en œuvre des ateliers et d’offrir ainsi un accueil complémentaire aux professionnalisations décrites plus haut. (Partenariat avec l’ENSATT, L’AFDAS , etc..)
Inquiets de voir l’accent mis sur la « Formation », au détriment d’une insertion urgente, nous voudrions convaincre de l’efficacité de « théâtres-écoles » de marionnettes, au niveau garanti par un encadrement professionnel, et dans des contextes excluant la médiocrité (pas dans des salles des Fêtes incertaines, ni au milieu de la rue).
Avec de bons textes, des esthétiques justes, des interprètes dignes de ce nom, on devrait réconcilier un large public (de spectateurs et de téléspectateurs) avec l’art de la marionnette et incitativement, gagner du volume d’emploi pour l’avenir.
Seul, un soutien structurel peut consolider et permettre de renouveler les expériences décrites en annexe.
Emilie VALANTIN
ANNEXES
Ancienne élève de l’ENSATT, j’ai eu la chance, lors de ma formation de comédienne, de bénéficier d’un stage d’initiation à la manipulation de marionnettes, avec le Théâtre du Fust. L’issue de ce stage – un spectacle – et une récente tournée avec l’équipe d’Emilie Valantin m’ont permis d’exercer et d’approfondir le travail « d’actrice manipulatrice ».
Ce terme implique, apparemment, une double compétence. Et en effet, la pratique de manipulation de marionnettes sollicite tellement de qualités exigées d’un bon interprète que l’on peut imaginer – pour ma part, j’en suis convaincue – qu’il serait judicieux de l’inclure dans une formation de comédien, comme un rappel de bases élémentaires et une des facettes du métier.
Bases élémentaires ? Sur le plan de l’émission sonore, la manipulation de marionnettes exige un bon placement de voix, ainsi qu’une grande clarté dans les intentions. Elle ne souffre pas d’entre-deux qui pourraient nuire à la compréhension du spectateur. Nulle béquille – mimique ou geste explicatif – n’appuie le sens du texte, au service du mouvement de la marionnette. Ce mouvement, qui implique un travail rigoureux de précision (des doigts, mains, voire corps entier dans des passages complexes) met en jeu plus de qualités psychomotrices qu’on ne l’imagine de prime abord.
Or on entend souvent dire en premier lieu, dans les écoles qu’il faut « être dans son corps », « réconcilier la tête et le corps »,… Cette séparation entre la cérébralité et l’enracinement de notre physique, en lui ,mais aussi en ce qui l’entrave, fait l’objet d’un réapprentissage, d’un retravail dans la formation du comédien, auquel on reproche souvent de ne pas « habiter » pleinement son corps. Mal du siècle ou faille typiquement française dans un système où l’on privilégie l’analyse psychologique sur la globalité ? Cette faille est combattue sur le terrain et (presque « sans y penser », justement !), par la pratique de la marionnette qui crée concrètement des liens entre tête/texte/voix/corps, par nécessité. Elle ne met pas en représentation, il est vrai, tout le corps de l’acteur, mais les qualités de dissociation, coordination et synchronisation qu’elle requiert sont autant de ponts jetés entre le « mental » et le « manuel » et fonctionnent comme une imprégnation impérative au bon exercice du métier d’acteur.
D’ailleurs, les bases élémentaires – mais ô combien difficiles à appliquer sitôt que l’on est sur un plateau ! – du jeu de comédien s’appliquent sans restriction à la manipulation. La célèbre formule « je vois, je réagis, j’agis » chère à Lecoq (cf. Le Corps Poétique) est obligatoire pour une bonne lisibilité du mouvement de la marionnette, et préalable à toute interprétation de n’importe quel personnage.
La manipulation contribue d’autant plus à la constitution de ces bases qu’elle dissocie l’interprète de l’image qu’il donne à voir. Là où l’interprétation « pure » permet des nuances psychologiques et l’utilisation de son image physique pour « créer du sens », la marionnette demande plus d’efficacité directe. Elle est en soi un objet à l’esthétique fonctionnelle ; reste au manipulateur l’acquisition de cette même fonctionnalité, et ce sans le brouillage de la perception narcissique du « moi-je » sur le plateau.
C’est donc un outil pédagogique passionnant – d’ailleurs on commet spontanément les mêmes fautes en manipulant des marionnettes que sur un plateau – elles peuvent agir en révélateur de nos défauts d’acteur. Le recul qu’elles permettent est nécessaire, également et toujours instructif, dans un métier où l’on mélange souvent l’être et le paraître.
Plus généralement, la manipulation met en jeu la notion de travail d’équipe : celui qui parle n’est pas toujours celui qui manipule, et pendant une scène, l’acteur qui ne joue pas est en charge du passage des accessoires, toujours à l’écoute de chaque instant. Il est mis à contribution au delà de son rôle d’interprète, de manière plus naturelle et plus fréquente que sur un plateau. Ceci nécessite une grande confiance entre les partenaires de jeu et l’importance de « l’objet » prend le pas sur l’appropriation parfois abusive du comédien sur son pré-carré (« sa » scène, « son » morceau de bravoure, « son » accessoire). Derrière le castelet, le comédien est au « service de la marionnette », comme il est au « service » du personnage et du texte quand il est à « elle » et sa prestation est indissociable de celle de ses partenaires. Il semble bon d’opposer cette notion d’équipe – valable dans l’ensemble de l’exercice du métier – à la vision de l’acteur seul au monde ou tête d’affiche, entretenue par les médias – et parfois les grandes écoles – et en ce sens, la manipulation de marionnettes contribue à la formation du comédien dans sa réalité et ses exigences.
Sarah FOURAGE – Février 2001