Un nouveau souffle pour la marionnette
Trois fronts laissés en friche et une suggestion
I– Lucidité
La sonnette d’alarme a été tirée depuis longtemps : nous sommes dans une situation de surproduction de spectacles, et les saisons culturelles comme les festivals peinent à donner place à toutes les propositions artistiques qui cherchent leur public.
La disproportion entre l’offre artistique et le potentiel de diffusion national et régional s’accentue depuis dix ans pour des raisons bien identifiées. (Elle explique sans doute la situation d’humiliation vécue par les artistes face aux programmateurs… C’est un autre sujet !)
Cette constatation est atténuée à Paris et dans les villes universitaires, autour des CDN ou Scènes nationales, où le public et l’offre théâtrale paraissent s’équilibrer, à grand renfort de communication, donnant une impression d’effervescence et de profusion justifiée.
Cependant, dans la plupart des territoires de la décentralisation, la crise du public de spectacle vivant, malgré la diversification des programmes et les actions culturelles, paralyse les artistes mis sur le marché par des formations optimistes. Les offres de spectacles ou d’actions culturelles se heurtent à l’indifférence, non pas des pouvoirs publics, plutôt incitatifs, mais des populations complètement imperméables aux propositions les plus variées… La situation est très grave en « semi-rural / péri-urbain » quoique puissent en dire les bilans d’activités triomphants…
En milieu rural, l’appétit culturel s’est renouvelé et ouvert, malgré les difficultés économiques et pratiques.
II- Changement de cap
Notre média, la marionnette, a des atouts spécifiques pour contourner les menaces d’extinction d’une partie du spectacle vivant, que les dispositifs EAC et la généralisation des résidences tentent de différer… (et seulement de différer !)
En nous aidant à réactiver quatre fronts préexistants, mais laissés en friche, le Ministère de la Culture permettrait sans doute de conforter notre crédibilité lors des actions culturelles qui nous incombent, et de développer le volume d’emploi.
Enfin, cela permettrait d’aller de l’avant en création artistique, au-delà de la marionnette pédagogique (et à son bénéfice).
Des marionnettistes qualifiés et réorientés désengorgeraient ainsi les plateaux tout en gagnant une visibilité nouvelle…
III- Les fronts laissés en friche
Proposition n°1 : Théâtres de marionnettes de jardins publics
Réactualiser, qualifier et promouvoir les théâtres de marionnettes de jardins publics.
Élargir aux bâtiments patrimoniaux, offices du tourisme, caves viticoles, etc.
Volume d’emploi potentiel de Pâques à septembre, en plein air « abrité ».
Ces moments de théâtre prendraient la relève des saisons raccourcies, calquées sur le rythme scolaire. Pour les marionnettistes du Off, elles relayeraient Avignon et les Festivals trop éphémères.
Ces théâtres retrouveraient leur rôle dans la création de la mémoire collective…
(On pourrait organiser des ateliers de manipulation publique, pour amateurs ou jeune public, entre les spectacles professionnels, donc entrer dans les EAC ?)
En plein air, on ne se cantonnera pas au castelet. Il faut introduire aussi d’autres techniques : les Ombres murales, le fil et la tringle etc. Quelles esthétiques tiendront le coup ?, séduiront le public « cultivé » comme le public familial « non captif » « éloigné de la culture”… lors d’une promenade d’après-midi ou d’une soirée ?…
Le prix du coût plateau reste l’obstacle numéro 1 auprès des communes ou communautés de communes, mais l’efficacité de la « rencontre » avec un large public devrait l’emporter, appuyée par une aide incitative (complément de recette ?) et une caution de qualité sur le projet. C’est l’occasion la plus légitime de financements croisés (commune, tourisme, patrimoine, recette directe, mécénat de jardineries, etc.).
Pas de faux « théâtre d’autrefois » défraichis et pauvrets, mais des espaces scéniques sobres, bien pensés. Des textes courts, une feuille de salle avec les noms d’auteurs, comme dans les « vrais théâtres », etc., des sculptures ou créations plastiques maîtrisées.
Le Ministère, par l’intermédiaire des DRAC, pourrait soutenir un maillage national pré-figuratif qui permettrait d’expérimenter cette réactualisation, en termes artistiques et économiques, et créer de l’émulation entre les communes et les jardins patrimoniaux.
Proposition n° 2 : Marionnette et Musique
Favoriser et soutenir des partenariats exemplaires avec Opéras, Conservatoires nationaux supérieurs, Festivals de Musique, Écoles de musique, ensembles instrumentaux ou vocaux, pour des créations avec marionnettes.
Des œuvres musicales pour marionnettes existent, d’autres sont adaptables, mais on pourrait en composer de nouvelles…
Les SMAC pourraient elles co-produire avec les marionnettistes en innovant par des rencontres artistiques inédites ?
Ces partenariats ont l’avantage d’offrir à la marionnette un plus large public, dans des salles ou des espaces à jauge importante, mais aussi en formes plus légères L’Opéra pour Marionnettes, joué pour un public restreint au XVIIIème siècle, peut être réactualisé et faire l’objet d’une production vidéo associée, ce qui nous amène au point n° 3.
Proposition n° 3 : Marionnette et Vidéo
Demander au CSA la création d’émissions nouvelles avec la marionnette, en manipulation « temps réel », voire « décors naturels », pour avoir enfin, non seulement des documentaires sur la marionnette, ou captations, mais de vraies « fictions », voire séries, et pourquoi pas une utilisation de la marionnette dans les documentaires-fiction ?
Condition sine qua non : Ouvrir enfin au CNC un bureau « marionnettes » en temps réel, parallèle à celui de l’animation, du numérique et du jeu vidéo, avec croisements possibles.
Proposition n° 4 : Une dernière suggestion
Expos itinérantes pour les fonds de marionnettes français (plutôt que la déchèterie).
Le problème récurrent des fonds de marionnettes, créés depuis l’Après-guerre sur tout le territoire national, demande à être étudié : ni la BNF, ni les musées régionaux ne peuvent faire face à cette profusion et à cette diversité.
On pourrait imaginer des expositions fractionnées, concentrées par spectacles ou par thème, itinérantes, c’est-à-dire réparties entre des lieux faisant “réseaux”, et renouvelées chaque saison. (Route des Marionnettes ?)
Cela pourrait être expérimenté comme le dispositif EAC l’a été, dans les départements où la présence de marionnettistes le justifie. On pourrait leur confier, en partenariat avec l’Etat et les Communautés de communes, et après expertise et sélection, la PRÉSENTATION, LA CONSERVATION ET LE STOCKAGE DES ÉLÉMENTS de leurs propres fonds entre deux périodes d’exposition.
La répartition et l’installation de ces modules d’expositions dans les sites d’accueil temporaires leur seraient confiés sur un design et une signalisation commune. (Cette expérimentation pourrait accompagner celle des Castelets en Jardins.)
IV- Rôle espéré du Ministère de la Culture et des Régions
Ces propositions complètent, ou sont une alternative à, la création des « Pôles marionnettes » ou lieux labellisés marionnettes.
Pour que ces trois orientations prouvent leur « attractibilité », trouvent leur public, donc leur économie, nous avons besoin d’un soutien du Ministère de la Culture et des Régions, comme il a été fait précédemment pour d’autres spécificités artistiques (musique baroque, cirque, danse contemporaine, etc.).
Les trois « fronts » impliquent une obligation de résultat, pas seulement aux yeux du public déjà acquis à la marionnette, mais aux yeux de publics jeunes ou moins jeunes, de plus en plus exigeants et critiques, de par la fréquentation du numérique.
Les marionnettistes doivent également s’équiper en matériel technique, travailler en nombre suffisant à l’atelier, au studio, sur les plateaux, pour ne plus être les spécialistes du « pas cher« , être au niveau des partenariats envisagés, et de la reconnaissance du public.
Nous aurions donc besoin de soutiens privilégiés sur les dossiers qui relanceraient expérimentalement ces fronts artistiques. Par quel biais ? directement celui des compagnies de marionnettistes (j’imagine la méfiance que cette proposition inspire… hélas…) ou par l’intermédiaire des structures “qualifiées” (donc filtrantes…) pour lancer un appel à projets concernant :
– les Conservations de jardins patrimoniaux ou châteaux ? mairies désireuses de créer un théâtre de jardin public ? ou pour un évènementiel ?
– les Opéras, Conservatoires ou les SMAC, pour les partenariats musicaux ?
– les Bureaux d’aide à la production vidéo et médias, dépendants des Régions ? France 3 ? ou des structures labellisées, comme Lussas ?
Voilà donc trois et une propositions concrètes, qui demanderaient un soutien direct et prioritaire, pour équilibrer la création d’emplois administratifs que les nouvelles dispositions territoriales imposent aux compagnies…
Dossiers bien ficelés, certes ! mais surtout marionnettistes à l’œuvre !