Pour une réactualisation du théâtre de marionnettes d’extérieur
Objectifs culturels et éducatifs
Cette proposition qui paraît surannée, est riche d’un potentiel neuf, adaptable, pour renouveler des politiques culturelles essoufflées. Elle s’adresse en premier lieu aux marionnettistes eux-mêmes, mais tout autant aux responsables de politique culturelle institutionnelle de tous échelons et aux élus. Il faut avoir le passéisme novateur et exigeant, et ne pas reproduire les approximations qui ont nuit à cette formule historique !
Dans une agglomération importante, le théâtre de marionnettes est un rendez-vous fixe, selon un calendrier offrant des « retrouvailles » régulières, par semaine ou par mois.
Dans une communauté de communes, en milieu rural, il peut être itinérant, avec des rendez-vous réguliers bien répartis.
Le théâtre de marionnettes d’extérieur s’adresse aux enfants et au « tout public » dit familial, celui qui ne rentre jamais dans une salle de spectacle, et que les actions culturelles touchent de façon éphémère et superficielle. Il peut aussi fidéliser un public de connaisseurs (musique et marionnettes, textes théâtraux « qualifiants » etc.).
Il peut être confié à une seule équipe, sur rendez-vous (premier week-end du mois par exemple) ou à un collectif de plusieurs compagnies, pour assurer une programmation plus régulière.
Il peut être placé sous la responsabilité d’un directeur de théâtre, avec un programme construit en partenariat, comme propédeutique ou écho des œuvres présentées dans la saison, mais il peut -être directement géré par le Service culturel de la commune ou communauté de communes dont il dépend, pour proximité nécessaire avec les services techniques et la Sécurité, entr’autre.
Il doit disposer d’un local de stockage, qui fasse loge, et être à proximité de toilettes.
Une toiture ou une salle de repli peuvent être envisagés, ainsi qu’un lieu de parking à proximité.
Arrivée d’électricité indispensable. Il faut donc trouver une « heureuse configuration » pour le lover.
Les coûts de création peuvent être soutenus principalement par une DRAC ou une Région (aides au projet) mais le coût plateau et les frais annexes peuvent faire légitimement l’objet de financements croisés : Tourisme, Patrimoine, Chambre de Commerce et mécénat, partenaires départementaux, commune(s) concernée(s), et bien sûr (petite) recette. Pas de gratuité totale.
On pourrait souhaiter, contrairement aux usages actuels, que la compagnie (ou les compagnies) reçoive(nt) directement une aide à la diffusion, notamment en milieu rural, sans passer par les arcanes de nombreux dispositifs décentralisés qui, d’une part, font échouer les projets par inertie et complexité des prises de décisions, et, d’autre part, deviennent une censure indirecte, stérilisante.
L’évaluation de l’efficacité d’un théâtre de marionnettes d’extérieur demande une expérimentation partagée avec un Service culturel, de proximité, ses autres partenaires, une DRAC sur une durée de 3 ans.
L’installation de la scénographie, les rythmes et horaires de représentations, le calendrier annuel d’ouverture, la jauge, la billetterie et le prix des places, le renouvellement du programme selon dates, heures et tranches d’âges concernées sont des responsabilités partagées avec le Service culturel de la commune, ou des communautés de communes.
La Communication, les « programmes », feuilles de salle indispensables à cette réactualisation, sont de la responsabilité esthétique partagée de l’équipe conventionnée et du Service culturel, dans l’exigence , c’est à dire le refus d’images démagogiques et complaisantes, envers l’enfance notamment.
Une charte de « bonnes pratiques » pourrait être étudiée entre les professionnels de la marionnette, les syndicats, les DAC de communes volontaires pour l’expérimentation, etc.
Réorientation et perspectives artistiques
C’est l’occasion pour les marionnettistes de se réapproprier les fondamentaux de la marionnette, et de se préoccuper de la « réception de l’œuvre d’art » par tous les publics, de se libérer des modes dominantes dans la Culture, des technologies commerciales, de récupérer l’insolence de la naïveté, d’être appréciés par tous comme artistes avant d’être intervenants.
Le répertoire
C’est majoritairement un répertoire « création de repères », ce qui ne veut pas dire ringardise.
Des aides à la création pourraient être attribuées pour la constitution d’un répertoire puisant dans les classiques pour reconstituer une « mémoire collective » et conviviale (réductions de textes théâtraux ou d’opéras, adaptations de narratifs, contes, etc.) mais aussi dans les curiosités littéraires et les écritures actuelles solides. La recherche sera bienvenue, par commandes d’écriture, après stabilisation d’un public capable d’apprécier les décalages maitrisés ou improvisés…
Retrouvailles de la marionnette avec le texte, par la littérature brève
On pourrait proposer des séquences courtes, additionnables, pour des représentations d’environ 30 à 40 minutes, renouvelables et diversifiées.
Soit une seule séquence de 35 minutes, soit plusieurs, en patchwork de sujets ou sur un choix littéraire (Molière, Nasreddine, Lydie Salvayre…) ou sur une thématique (ex :le Diable, le Loup, et autres valeurs sûres, ou en écho à la programmation de saison d’une scène voisine…).
N.B. : Il faut environ deux heures de répertoire pour “alterner“ pendant une première saison.
Retrouvailles de la marionnette avec l’improvisation et la satire, lors d’ateliers avec des comédiens professionnels ou des amateurs adultes, un atelier d’écriture avec un auteur en résidence. Sessions satiriques délocalisées dans des cafés voisins… car les jardins ferment souvent le soir !
L’interprétation
La qualité de l’interprétation, des musiques et la diffusion des voix, dans un jardin public, dépend beaucoup du matériel, pour que ce théâtre ne soit pas perçu, de loin comme de près, comme un sous-produit commercial.
La scénographie et l’esthétique
Le castelet, les marionnettes à gaines et marottes ont fait leurs preuves, mais on peut continuer à chercher en tenant compte de la nécessité d’élévation, de proportions suffisantes, de lisibilité en plein jour des personnages, et aussi de la discrétion du manipulateur, sans éclairages salvateurs… (marionnettes sur cannes, sur baudrier, fils et tringles en déambulation hors castelet, etc.).
Ouverture d’ateliers participatifs : un point important pour faire de cette expérimentation une nouvelle expérience d’actions culturelles
L’espace du théâtre de marionnettes est aussi un lieu de transmission. Les ateliers amateurs, adultes ou enfants peuvent être publics, avec des auditeurs qui s’installent sur les chaises (ou pas !) selon l’horaire… Offre culturelle aux enfants en période de vacances (touristiques ou non) pour relayer la fermeture des théâtres.
Relais aux saisons et aux festivals d’été trop courts pour qu’une proposition / une compagnie soit enfin « visionnée » par les professionnels, mais aussi perçue comme présente par le plus large public.
Association de la Marionnette et de la Musique
Travail pédagogique sur la musique de scène avec les Conservatoires. Intermèdes de marionnettes dansées. Partenariats avec écoles de musique, cours de danse, SMAC, voire groupes de musique indépendants ou fanfares, création d’œuvres musicales… tout est possible.
Cette réactualisation du théâtre de marionnettes d’extérieur offre donc aux responsables culturels une occasion de geste visible et vraiment populaire en faveur du spectacle vivant. Elle paraît compatible et soluble dans les dispositifs d’Action Culturelle.
Les marionnettistes y trouveront un défi, mais aussi des perspectives de vrai volume d’emploi, au-delà du système circulaire fermé des créations en résidences et de leur diffusion difficile.
Comment s’y prendre ?
Suggestions pour les étapes suivantes : essayer d’être pragmatique pour savoir vers quoi aller (scénographies, esthétiques des marionnettes et répertoire), quoi demander (chiffrage et logistique) et à qui (recherche de partenaires) .C’est un projet culturel exigeant.
Faire le bilan des écueils, des échecs et des points positifs du passé, ou d’expériences voisines récentes. Jouer à l’extérieur, presque tout le monde le fait, attention à bien envisager la spécificité et l’exigence de cette réactualisation :
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Ne pas mépriser les points forts du passé : le principe de rendez-vous réguliers, pour fidéliser un public, ou des publics, avec des horaires et des programmes différents selon les publics et l’accessibilité visuelle dans l’espace public, puis la possibilité d’être spectateur assis sur un temps donné. Le faible coût du billet, la curiosité pour le reste du programme, ou les soirées “adultes” proposées, en rendez-vous différents, mais tout aussi “bon enfant”.
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Ajouter à ce point de départ l’exigence actuelle d’un répertoire séduisant, d’abord avec des critères familiers, des repères de mémoire collective (contes, mythologies réductions de pièces par coupe) puis des choix piquant la curiosité, en avançant des exemples de textes et d’auteurs. Bien sûr, le répertoire doit s’adapter aux lieux et aux publics…
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Approcher techniquement un temps de répertoire disponible, ou un nombre de séquences, pour les présentations, dans une première année, que l’équipe (ou le collectif) peut préparer ou dont il dispose déjà.
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Approcher le nombre et la formation des interprètes, y compris de musiciens, la nécessité d’un régisseur ou d’une assistance technique des lieux d’accueil.
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Approcher une enveloppe de coût de création pour réunir une scénographie, des personnages, des périodes de répétitions.
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Chiffrer le coût à la journée, ou pour un temps fort d’une semaine, au mois, à la saison… pour une équipe de 4 à 5 personnes en diffusion.
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Envisager les modalités de salariat, pour la période de création, puis pendant la période de diffusion. Penser aux déplacements, au catering, etc.
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Avoir des exemples chiffre en main pour poursuivre les démarches.
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Travailler sur une hypothèse de recettes, de financements croisés. Ajuster le volume et les temps de diffusion, le calendrier à proposer au volume d’emploi à rémunérer, établir des enveloppes de cachets et charges sociales forfaitaires, et prévoir des modulations en fonction des “puissances organisatrices” ! Celles qui pourraient co-produire, celles qui déjà dépensent beaucoup pour l’évènementiel et décideraient de faire l’expérience d’autre chose, celles qui n’ont aucun financement, celles qui sont dans un réseau favorable, etc.
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En parallèle, faire l’inventaire de lieux d’installation possibles, jardins, lieux patrimoniaux, espaces publics, autour de sa propre implantation. Chercher les autorités responsables de ces espaces (mairie, communauté de communes, département…). Interroger les responsables ou les élus qu’on a l’occasion de croiser…
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Contacter les structures potentiellement concernées par ce nouveau type d’action culturelle à expérimenter. Viser une maillage de 5 installations avec programmations expérimentales pour 2021 (pour les jardins publics urbains, centre ou périphérie ; milieu rural avec programmation itinérante).
Pourquoi un retour aux fondamentaux de la marionnette
et une « reforestation » du répertoire :
Les “Fondamentaux” de la marionnette, malgré les injonctions de « Transmission », sont paradoxalement laissés en friche depuis plusieurs dizaines d’années, au profit d’injonctions de « contemporanéité », ou de « recherches ».
Ils sont pourtant le socle d’une démarche artistique efficace et justement prospective.
Cela mérite quelques explications :
La “grammaire de manipulation” ( intitulé rébarbatif !) et d’interprétation de la marionnette à gaine, offre des exercices infinis d’interprétation classique, mais aussi de pratique de l’absurde, de la satire et d’improvisations créatrices. Chaque stage permet de le vérifier, et d’en garder des exemples concrets dans le répertoire de certains marionnettistes.
Cette “grammaire” transmet ses codes aux autres techniques de marionnettes, fils, tringle et table, en posant de façon incisive la problématique du choix de la construction, de la taille, de la nature des déplacements, donc de la scénographie, en fonction du texte ou du contenu.
Viennent enfin les problèmes d’interprétation, de dosage des compositions vocales, nécessaires ou non, de l’utilisation des technologies, des choix musicaux, etc.
Leur pratique est source de divertissement
Le grand public serait-il lassé par des marionnettes « marionnettes », bien faites et bien manipulées… sur des textes intéressants , abritées par des arbres, une façade patrimoniale, une espace urbain à vitaliser ?
Le théâtre de marionnettes d’extérieur, (qui fut une des bases du métier) est une proposition qui a fait ses preuves pour rencontrer le plus large public. Elle est voisine, mais différente du théâtre de rue par la notion de retouvailles et de répertoire .
Si nous sommes plusieurs à préparer une “croisade” pour ce renouveau, en contactant élus , directeurs, de services culturels ou de rhéâtre, chargés de missions, journalistes, universitaires, etc., en proposant une expérimentation pour les printemps et étés à venir, nous pourrions espérer un premier “maillage” expérimental, dans le cadre de projets de territoires, par exemple. Volume d’emploi à la clé… ?
Les dispositifs EAC pourraient s’ouvrir à cette expérience, car cest une proposition stratégique d’action culturelle qui réunit l’écriture, la création plastique, la diffusion, la participation amateur. Etc… Serait-ce une lternative ou un complément au projet d’installation des Micro -folies ?
Serait-ce plus ou moins coûteux ?
On peut en réaffirmer le but essentiel : une démarche immédiate et perceptible d’offre théâtrale, avec ses exigences de répertoire écrit et à écrire, et ses exigences esthétiques et techniques, dans la continuité de notre Histoire de l’Art et du Théâtre.
Emilie Valantin – Juin 2019