Ecrire pour marionnettes
I . Ecrire pour marionnettes : évidences et théorie
A l’expérience de quelques ateliers d’écriture, de la fréquentation d’auteurs confirmés essayant d’écrire pour le Théâtre du Fust (ancien nom de la Compagnie Emilie Valantin), après avoir participé aux travaux du jury réuni à Neuchâtel en 1998, je crois qu’il n’est pas inutile de ressasser quelques conseils d’écriture de scénario en général. Si je me permets de rappeler quelques évidences qui frisent les vérités de Lapalisse c’est parce qu’il faut d’autant moins les perdre de vue qu’on écrit pour marionnette. Bien entendu cette synthèse m’est inspirée par la pratique de la marionnette, qui va du choix des textes – des heures de lecture ou d’écriture – à la fabrication des personnages – des heures d’atelier, mais aussi des visites de musée etc. – à l’interprétation – des heures de musculation ! – et rend pragmatique voire prosaïque.
Une histoire, anecdote, récit, tranche de vie, est plus intéressante avec un début et surtout une fin… c’est-à-dire une situation dénouée de façon claire et incontestable. Pas question de laisser le lecteur ou le spectateur sans action, sur un état d’âme. S’il y a alternative pour la chute de l’histoire, il faut la rédiger en allant jusqu’au bout de chaque option. Se méfier du propos flou, du « moment de rêverie », de l’introspection narcissique… ou du moins en mesurer la durée.
Cette histoire doit, si possible, en plus du comique ou du tragique, comporter un sens général humain, moral, social et philosophique implicite, c’est-à-dire non formulé directement, mais qui permette au lecteur ou spectateur de situer cette histoire et ses personnages, dans la structure de sa propre conscience morale, sociale ou philosophique. En bref, cette histoire doit comporter un récit, une anecdote au premier degré, qui implique un sens général au moins très précis pour l’auteur qui l’écrit. Il est possible qu’ultérieurement, les interprétations des lecteurs-spectateurs varient d’une façon imprévisible en toute liberté. Mais l’auteur doit fermement avoir déterminé sa propre conviction sur les personnages et sur ce qui leur arrive.
Toute réplique banale, inutile, qui ne donne aucune information sur le personnage ou sur la situation est à éliminer, sauf si, bien sûr, la banalité elle-même est indispensable pour l’expression et le sens du scénario. Dans ce cas, l’expression de la banalité doit bien être ressentie comme voulue et non pas comme un accident ou une négligence d’écriture.
Supprimer les « Oh, la, la », « ben alors », « comment ça va », « c’est pas possible ça » et autres retranscriptions de la conversation inutile (les interprètes s’en méfieront également).
Les auteurs doivent imaginer le déroulement de leur histoire en laissant la part aux images, au jeu de l’acteur ou de la marionnette, et par conséquent rechercher les objets et les gestes signifiants qui permettraient l’économie du discours. Ils peuvent aussi écrire en laissant une part à l’improvisation de l’interprète. Ils peuvent écrire en laissant la part d’une partition musicale.
Si aucune action ne soutient un monologue, ou un échange de répliques, bien imaginer que les marionnettes « plantées », quel que soit le talent du manipulateur interprète, « ennuient » à partir de la 3ème ou de la 4ème ligne. C’est un problème d’écriture ou de mise en scène qui se pose à l’Opéra également par exemple, et qui devrait se poser au théâtre.
Chaque auteur est, de nos jours, un téléspectateur et un spectateur de cinéma, et il a dans la tête les gros plans, les travellings, les fondu-enchaînés, etc. Il faut bien penser à la différence entre les moyens d’expression.
En marionnettes, ce que nous imaginons comme « panoramiques » ou « travellings » peut être compensé par les éclairages ou des changements d’échelle (marionnettes plus grosses ou plus petites) si les conditions de production le permettent.
Il faut absolument que les auteurs fassent ces rétablissements mentaux au moment d’écrire un scénario, mais on peut considérer également que c’est la marge de manœuvre du metteur en scène. L’auteur peut décider d’écrire sans préjuger des problèmes scénographiques quitte à accepter de « réaménager » son texte pour qu’il devienne représentable.
Il faut beaucoup réfléchir, quand on écrit pour marionnettes, à ce que la marionnette ne peut pas faire. Les personnes peu familières avec ce moyen d’expression doivent imaginer les limites du jeu de la poupée. La marionnette peut seulement “faire semblant” de boire et manger (elle ne peut pas avaler vraiment, elle a d’ailleurs de la peine à tenir une cuillère et une fourchette, il faut les lui mettre dans la main et les lui enlever ultérieurement). A table, un plat ne diminue pas, il faut trouver une astuce de récit pour interrompre l’action de manger ou faire admettre l’absorption d’aliments par la convention des gestes et du dialogue.
En vidéo, pour les scènes de repas, les plans de coupe permettent de modifier la quantité des aliments et de faire apparaître des déchets, des plats entamés, des morceaux de pain coupés, les verres et les bouteilles dont le niveau baisse, etc. En spectacle vivant on peut se dispenser de ce réalisme si les accessoires sont suffisamment signifiants et « archétypiques : le verre, la bouteille… peu importe si on ne voit pas le liquide exactement !
Par ailleurs, la marionnette n’a pas la possibilité de prendre par préhension des doigts, sauf si on a les moyens de construire une robotique sophistiquée, mais c’est compliqué et cela ne me paraît pas être une garantie de succès et un propos esthétique pour nous. Il faut donc imaginer que la marionnette à gaine attrape avec les deux bras (ces deux bras sont en réalité le pouce et le médium en pince du manipulateur). Elle peut également attraper parce que le manipulateur triche en utilisant ses propres doigts sur du tissu (éléments de costumes), d’où l’intérêt technique des histoires « à costumes », capes, manteaux, jupes, qui permettent de camoufler les petits mécanismes ou les tiges mieux que le complet veston ou la nudité archaïque !
Nous ne nous lancerons pas dans la description des mille astuces périlleuses et très risquées en spectacle, inventées par les marionnettistes, avec crochets, aimants, velcros, fils de rappel, etc., pour que la marionnette puisse saisir ce que le scénariste lui demande.
Le scénariste doit savoir que c’est une difficulté mais toujours un effet de virtuosité. L’objet reste le meilleur partenaire de la marionnette.
La réduction de la marionnette implique ou non la réduction des objets de son environnement. Il faut donc donner de l’importance aux objets du quotidien. Ceux qui sont souvent utilisés dans les contes et les histoires : pièces de monnaie, bijoux, crayons, stylos, montres, lunettes, petits étuis, médicaments, fioles, ciseaux, carnets, lettres doivent être grossis car le public les distingue mal. Ces objets peuvent être parfois laissés en dimension réelle, à taille humaine, ce qui est toujours très troublant si le ton du scénario s’y prête. Parfois il faut trouver des transpositions, et c’est le rôle de l’auteur ou du metteur en scène. Ainsi, par exemple, dans un conte de La Fontaine, “Joconde”, nous avions changé un anneau d’or, laissé au moment d’un départ en voyage, par un sac de voyage donné à la femme par son époux : le sac de voyage étant évidemment plus gros, il était immédiatement repéré lorsqu’il est oublié par l’époux.
Se renseigner sur les types de marionnettes : manipulées par en dessous (marionnettes à gaine) ou par en dessus (marionnettes à fils et à tringles de métal) et tout autre « invention » des marionnettistes pour élargir les possibilités scénographiques du moyen d’expression.
Il faut penser que la marionnette à gaine n’a pas de pieds et qu’on ne voit pas le sol. Les personnages sont aperçus par le public comme s’ils étaient sur une terrasse ou sur une esplanade, les spectateurs les voyant d’en bas, au niveau des genoux seulement. Les scénarios impliquant sols, planchers, objets au sol, feuilles mortes, caches secrètes au sol, trous, objets perdus au sol, doivent souvent être adaptés. On peut les réserver pour utiliser la marionnette à fils ou à tringles, qui ont des jambes et pour les déplacements desquelles le sol est toujours pris en compte.
L’auteur de scénario doit être pragmatique :
Ces contraintes paraissent des limites aux scénaristes débutants, mais on s’aperçoit vite en écrivant qu’elles servent le projet en concision et en netteté dès sa conception.
Les observations suivantes sont là à titre indicatif pour continuer à rappeler aux futurs scénaristes qu’ils doivent être concrets, beaucoup plus que ne le sont les poètes et les romanciers.
Si on écrit une histoire destinée à la simple lecture, au récit oral, on peut inventer tous les changements de lieux, toutes les fantaisies géographiques, les fantaisies architecturales, le nombre des personnages, le luxe de décors, d’accessoires. Mais l’auteur qui désire être joué en marionnettes ou mis en production vidéo doit être très réaliste. Tout changement de décor et de lieu coûte de l’argent. En spectacle vivant, il faut le fabriquer, l’installer, et surtout l’enlever pour le remplacer par le décor ou les décors suivants, et non seulement cela coûte de l’argent, mais cela risque de ralentir ou d’alourdir la représentation.
Le théâtre contemporain permet qu’un accessoire, un objet, ou un élément de décor, reconstitue le lieu où se déroule l’action, sans avoir à créer un environnement complet. Le scénariste peut en tenir compte dès l’écriture.
Pour la vidéo et l’utilisation du décor naturel, il faut savoir que le découpage du réalisateur, en plans-séquences et en plans, fera l’objet d’un story-board et que chaque plan demande déplacement de l’équipe, préparation d’un éclairage différent du précédent, d’un cadrage, une répétition et que cela allonge le temps de tournage.
Le metteur en scène ou le réalisateur motivé et inventif peut trouver un moyen pour résoudre une difficulté technique si l’histoire le mérite et si le budget de sa production le permet. Mais il est prudent d’éviter d’accumuler les exigences et les difficultés matérielles pour ne pas décourager d’avance les intentions de réalisation dans des circonstances économiques qui sont, la plupart du temps, rigoureuses.
La meilleure façon de se préparer à écrire des scénarios pour la marionnette comme pour le théâtre, c’est d’aller assister à des spectacles et de « voir » l’envers du décor, quelque soit la qualité du spectacle. « Les trucs » et astuces recherchés par les marionnettistes sont très instructifs sur les difficultés de cet art ! Puisque les marionnettistes sont à l’affût des nouveautés littéraires, les auteurs devraient leur rendre la politesse.
II. Ecrire pour marionnettes…
Appréciations subjectives et provisoires (septembre 99) après avoir participé au jury de lecture organisé par le Théâtre National de la Poudrière et la Banque Cantonale Neuchâteloise.
Tout en réunissant quelques évidences sur l’écriture pour marionnettes j’en mesure la relativité. Si je savais comment écrire pour ce moyen d’expression, à coup sûr, j’aurais envoyé un texte et j ‘aurais eu le premier prix. Je me serais bien gardée d’être dans le jury…
Celui qui a eu le premier prix ne peut-il répondre mieux que moi ? Probablement non, car il a écrit son histoire sans être certain que son « élucubration » (ouvrage exécuté à force de veilles et de courage) aurait le premier prix, ni puisse être considérée comme un modèle.
Il connaît la marionnette cependant, ou plutôt il sait qu’il ne sert à rien de la connaître si bien que ça. Il a dû procéder comme tous les écrivains : ratiociner son histoire parce qu’il ne pouvait faire autrement. Du moins cette nuit-là ne pouvait-il évoquer autre chose que ces personnages, cette histoire qui tourne en rond. Par la suite, il a dû corriger, mettre en forme, retoucher, et par chance, il n’a pas perdu la force du premier jet. Et nous le jury, nous nous sommes inclinés devant cette obstination qui transparaît dans une histoire construite comme une chanson, avec refrain et couplets.
Nous avons d’abord été touchés par la force, « la nécessité » du texte, puis nous avons reconnu une des écritures possibles pour marionnettes. L’écriture ne peut se dissocier de l’esthétique, et repose sur cette esthétique même. J’aurais dû me douter qu’il y avait un vrai marionnettiste là-dessous, mais le secret était bien gardé par la rigueur de la Banque Cantonale Neuchâteloise…
Je salue donc la radicalité du style et son adéquation aux images, ainsi que la structure répétitive voire obsessionnelle de l’ensemble. Au sujet de cette adéquation je citerai une conversation avec un autre marionnettiste : Eric Bass. Nous nous interrogions sur le pourquoi et le comment d’un bon choix de textes. Nous nous mîmes d’accord sur le principe suivant : tout sujet choisi par un marionnettiste l’est en fonction du traitement esthétique que ce sujet lui inspire immédiatement, et c’est ce traitement qui justifie le choix du sujet.
Corollaire numéro 1 : le même sujet, traité par un autre marionnettiste, d’une autre façon, risque le fiasco total et peut être considéré comme un sujet inintéressant.
Corollaire numéro 2 : il y a de « faux bons sujets » qui font surgir facilement des images ou des effets scénographiques immédiats. Il faut s’en méfier, car ils sont susceptibles de pléonasmes lorsqu’on passe du texte à la mise en marionnettes.
Corollaire numéro 3 : il ne faut pas forcément se méfier du pléonasme, mais tout de même…
Bref, dans le texte qui reçoit le premier prix, on trouve les bons ingrédients, « un univers » selon l’expression consacrée, la répétition c’est-à-dire la déclinaison d’une situation, des images susceptibles d’une poésie vigoureuse excluant la niaiserie enfantine et le « joli », enfin une chute visuelle. On se contentera en l’occurrence d’une chute surréaliste. J’aurais aimé un peu plus de sens, c’est-à-dire de double lecture sur la présence de cette baleine. Même pour un premier prix on ne peut pas tout avoir et il faut bien qu’il reste du travail au metteur en scène…
Que l’auteur soit mort ou vivant, le metteur en scène pousse le texte dans ses retranchements, parce qu’il doit prévoir les objections, les réticences ou les blocages du public. En bon pédagogue, c’est lui qui mesure le degré d’abstraction ou d’illustration dans lequel il emmènera le public. Il est maître également d’établir clairement (ou non) une relation entre le texte et la vie contemporaine, les problèmes du jour, ou de relier le spectacle (texte + mise en scène) à un courant de pensée passé, présent ou à venir. C’est-à-dire de lui apporter un « éclairage ». Cette touche finale est devenue un condiment essentiel pour les critiques et les spectateurs d’aujourd’hui. Il est possible que les auteurs de théâtre en profitent quelquefois pour émettre des textes incertains, connaissant le goût des metteurs en scène pour charger le texte de « messages »… Je m’en indigne parce que j’aime que les auteurs se compromettent à donner leurs avis et fassent donc un effort pour en avoir. Comment être auteur sans avoir d’opinion(s) ? J’aime que rien ne soit anodin et j’aime sentir que l’auteur est, comme moi, préoccupé par ce qui s’est passé et par ce qui se passe dans le monde. Cependant, le ton « engagé » et dénonciateur me pèse (je crains l’intransitif : engagé à quoi ?). Quelquefois l’énoncé des personnages préfigure en soi une lourdeur accablante : « le patron, le militaire, le C.R.S., le directeur du supermarché, l’adjoint à la culture, etc. ». Je suis à l’affût de la fable irrésistible qui démonte le mécanisme des comportements et économisera la dénonciation formulée.
Notre premier prix a la plume légère sur les malheurs du monde. Il laisse parler les images, mais l’âcreté du ton laisse percevoir des indignations et des comptes à régler. De ce fait, c’est un exemple réussi de texte pour marionnettes. Il aurait pu être aussi un bon texte pour film d’animation, pour vidéo ou BD. Les qualités d’écriture requises sont souvent les mêmes entre ces moyens d’expression. Dans le cas d’Igor Hagard, le traitement en marionnettes sera le meilleur parce que malgré les difficultés techniques, la représentation en direct permettra de ménager les silences nécessaires à l’atmosphère et aux situations. Certains jours, le spectacle sera ressenti comme comique, d’autres fois il pourra être reçu comme métaphysiquement tragique. Cela dépendra aussi du public.
George Sand écrit « il ne suffit pas de dire des choses justes, encore faut-il les rendre écoutables ». En tant que montreur de marionnettes je dirais : « encore faut-il les rendre montrables ». Cela amène à tant de considérations techniques que les bras m’en tombent ! Il est vrai que dans l’itinéraire du Théâtre du Fust [ancien nom de la Compagnie Emilie Valantin] il a été souvent plus simple d’adapter un récit, une nouvelle, d’improviser sur un fait divers ou une histoire traditionnelle que de faire une commande d’écriture, tant les auteurs refusent les contraintes matérielles des arts du spectacle.
Or, si j’ai quelques exigences en tant que metteur en scène, avant de choisir un texte de spectacle, je m’aperçois que ces exigences sont aussi des exigences de spectateur !
J’attends toujours, naïvement, qu’il se passe quelque chose et que ce quelque chose existe matériellement. C’est-à-dire que le dernier mot ne reste pas aux mots. J’aime quand, à l’instar des textes russes depuis Gogol, et comme Duranty l’exige pour Polichinelle, un objet banal, quotidien, archétypique, matérialise et symbolise la situation dramatique.
Par contre, il y a des insistances de style qui me dérangent : par exemple je n’aime pas que les personnages veuillent d’emblée être « marrants ». J’aime qu’ils soient comiques sans le savoir, comme dans la vie. Même observation pour la poésie. Je n’aime pas qu’un spectacle de marionnettes se veuille « poétique », j’aime qu’il ait un sens, qu’il soit signifiant, et que, si poésie il y a, elle soit donnée en plus, si possible sans qu’on l’attende. Voilà pourquoi je m’intéresse modérément à l’état d’âme, à l’introspection, au narcissisme « psychanalytique » au poético-poétique. Goût personnel !
Paradoxalement, j’aime assez les calembours imposés avec un clin d’œil, du genre : « je sais qu’il est très mauvais mais je ne peux pas m’empêcher de vous le faire ».
J’aime les pastiches et la parodie assumée c’est-à-dire maîtrisée. De nombreux textes mettent en scène de méchants « sous-Ubu » faussement cocasses qui ne tiennent pas compte de l’évolution de l’histoire. De nos jours, le pouvoir et le fascisme ne se manifestent pas de cette façon énorme. Il serait temps de démontrer le pernicieux, le latent, le rassurant des nouveaux aspects des nouveaux pouvoirs.
Le néo-surréalisme « à la Prévert » si pratique en pédagogie pour réfuter d’autres conventions littéraires et libérer les aptitudes créatives des écoliers peut devenir un nouvel académisme sous une plume adulte. Beaucoup d’auteurs, sous prétexte qu’ils écrivent pour marionnettes, croient s’en tirer en maniant l’absurde et en utilisant un ton naïf qui ne correspond à aucune nécessité. Je préfère qu’on traite sans afféterie le problème métaphysique de l’échec ou de la petitesse humaine, que les personnages soient simplement piteux parce que… ça me console ! Mais prendre un ton « enfantin » est un pléonasme qui de toute façon déconsidère le propos. La difficulté est toujours la même : écrire pour un moyen d’expression par nature métaphorique sans l’affaiblir, dénaturer le réel sans lui faire perdre sa substance.
En fait, j’assume complètement mes goûts actuels pour une marionnette philosophique voire politique. Il me semble que nous, les auteurs, les marionnettistes et les spectateurs, sommes un réseau de complices. Nous devons fomenter le plus de complots possibles contre l’indifférence, les clichés, les idées dites dominantes. Il me semble que l’urgence, dans l’exercice de cet art collectif, n’est plus tout à fait de « faire rêver » mais de susciter une nouvelle exigence critique. J’ai souvent parlé du «devoir d’impertinence », qui est le b.a.-ba du travail artistique. Depuis peu, j’énonce également le devoir de cohérence qui sous-tend même l’absurde, et j’en assume la volonté didactique. Il faut être solide surtout dans la pire malice. Ces complots de la pensée et du plaisir sont difficiles à organiser. Il n’y a pas de recette. Avec beaucoup de convictions et de désirs esthétiques, on peut seulement « tenter le coup par coup », chercher les brèches et prendre des risques…